Management humaniste & bien-être au travail
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Crédit photo © Châteauform’
En quelques mots
En ces temps d’urgence sanitaire, à l’heure où l’économie semble retenir son souffle et suspendre son rythme, en ces temps de confinement et de "distanciation sociale" et d’entraves de toutes sortes aux déplacements des humains, en ces temps d’héroïsme des soignants et de mobilisation des travailleurs des secteurs "prioritaires"... cela a-t-il encore un sens de parler d’humanisme ?
Pire encore, en ces périodes de fausses informations et de pensée magique aspirant à des solutions simples pour résoudre des problèmes complexes, en ces périodes où l’on distille le message de la nuisibilité foncière de l’Homme vis-à-vis de la planète, où des images et des caricatures instillent le sentiment qu’un planète sans humains ou avec des humains réduits au rôle de gardiens de musée se porterait mieux... est-il encore audible de parler d’Humanisme ?
Enfin, au moment où les excès de la mondialisation et le prix que nous en payons actuellement poussent à sacrifier le « bébé avec l’eau du bain » en remettant en cause le concept même de mondialisation, alors qu’on oublie que c’est cette même « mondialisation des échanges » qui a permis de réduire les famines de plus de 50% dans le monde en 30 ans et que l’on réduit le monde de la production à celui de l’exploitation... cela a-t-il encore un sens de vouloir que les entreprises soient un lieu d’exercice de cette utopie Humaniste ?
Or, plus que jamais, la place de l’entreprise dans le développement des sociétés à venir est en jeu :
La crise économique qui va succéder au pic de la pandémie de COVID 19 est déjà annoncée comme de la même ampleur que celle de 1929 par l’actuel Ministre des finances.
D’ores et déjà la commission Européenne a annoncé la levée du « tabou » des 3% de déficits publics, et nous pouvons imaginer le puits de dettes qui va se creuser pour permettre, en sortie de crise, la relance de l’économie mondiale.
En deux mots, les Etats vont ressortir ce cette période à la fois renforcés dans leur rôle de protecteur et régulateur nécessaire – avec les attentes politiques correspondantes des citoyens - et affaiblis dans les moyens financiers et économiques à leur disposition.
Or, outre les nouveaux enjeux crées ou révélés par la crise, restent en filigrane les enjeux classiques liés aux défis du climat et de la transition écologique .
Le montant de ressources nécessaires pour à la fois faire face au redressement à court terme et aux mutations à moyen terme, sera colossal… pour un Etat endetté au-delà du possible, en manque drastique de ressources financières et limité dans sa capacité à retrouver assez de moyens par une fiscalité que les populations ne seront peut être pas prêtes à supporter.
C’est la raison pour laquelle ce sera seulement par une union sacrée « PUBLIC-PRIVE » que nous pourrons relever la montagne de défis devant laquelle nous allons être : les entreprises seules n’auront pas assez de ressources de leur côté pour dépasser la seule mobilisation de reconstruction de leurs marges, l’Etat seul n’aura pas assez de ressources et de moyens pour faire face à la complexité et à la quantité d’attentes que les citoyens auront à nouveau à son égard.
Seule l’union de leurs ressources respectives permettra l’avancée et le progrès. L’Etat et l’entreprise, comme les Etats de l’UE sont condamnés à s’entendre et à coopérer s’ils veulent se montrer à la hauteur des défis. Ne pas y parvenir ce sera pour nos économies comme pour la géopolique européenne un échec assuré .
Alors, qu’est-ce que cela signifie pour nos entreprises ?
En premier lieu rendre visible et mettre en avant le constat de l’implication et de l’engagement de tous les personnels qui ont montré durant la crise du Coronavirus leur courage et leur bonne volonté dans tous les secteurs de l’économie qui ont continué de fonctionner au plus fort de la Pandémie. Appelons cela le principe de RECONNAISSANCE.
En second lieu organiser le travail pour donner aux individus un véritable choix entre les différentes modalités d’implication : en poste ou/et à distance, le télétravail sera de moins en moins marginal et de plus en plus un choix de vie. Gardons en tête que ceux qui ont été obligés de supporter du télétravail contraint auront sans doute cessé de rêver au télétravail comme d‘une panacée et donc que ceux qui le choisiront le feront encore plus comme un vrai choix raisonné et volontariste. Appelons cela le principe de FLEXIBILITE.
En troisième lieu, dans l’organisation des processus en entreprise, un nouvel équilibre entre local et international va se reconstruire, un nouvel équilibre entre centralisation et localisation va se chercher et les paramètres de décisions ne seront plus seulement de la rentabilité et de la résilience à court terme mais aussi de la pérennité à moyen et long terme. Appelons cela le principe de SUBSIDIARITE.
En quatrième lieu les entreprises pourront se considérer non seulement comme des acteurs privés à vocation de créer de la valeur (pour toutes ses parties prenantes), mais aussi comme des contributeurs sociaux aux enjeux de société. De ce fait les personnels deviennent des ambassadeurs engagés au service de défis sociaux. Appelons cela le principe d’UTILITE SOCIALE.
En cinquième lieu les modes de management vont évoluer. Paradoxalement on risque d’assister à la fois à un retour de la directivité assumée et à un besoin grandissant d’autonomie et de droit à l’initiative au plus près du terrain et des besoins des clients et partenaires. Les enjeux de management vont être de plus en plus le niveau de discernement dans la gestion des individus, la qualité du feed-back donné aux Hommes et Femmes au travail et la clarté de l’information partagée avec en particulier la manière de savoir assumer ce que l’on ne sait pas encore. Appelons cela le principe de DISCERNEMENT.
Enfin, un des bénéfices de cette crise aura été de mettre en lumière la nature systémique de nos société développées et l’incontournable complexité de l’organisation de nos sociétés. Derrière la révélation de l’interdépendance massive des nations les unes avec les autres en matière de matières premières, de chaînes de fabrication, de détention des molécules et inventions clé… se lit l’intrication de nos sociétés et de nos Etats sinon de nos appareils productifs. Le choc de la crise va sans doute faire repartir le balancier dans la direction opposée et venir faire réfléchir aux excès commis. Il ne faudra pas oublier que ce tissu interdépendant est la marque d’une évolution qui renforce la solidarité de fait des Humains à l’échelle planétaire et que ce tissu planétaire est la visualisation de la complexité d’un monde où chaque acteur inter-agit avec tous les autres. Appelons cela le principe de COMPLEXITE ou de SYSTEMIE.
Ce que révèle cette situation c’est que cette solidarité « de fait » ne s’étant pas accompagnée d’une solidarité politique internationale et institutionnelle, nous sommes placés au milieu de la contradiction profonde entre un monde qui a organisé le développement de sa richesse sur la répartition du travail à l’échelle planétaire et n’a pas voulu ou su, en parallèle, assumer les conséquences politiques et sociales de ce que cela impliquait. C’est à l’échelle mondiale ce qui nous est arrivé en Europe où nous avons su construire une réelle et efficace interdépendance économique qui a enrichi tous nos pays (y compris les plus récriminants) et où nous n’avons pas su, pas voulu, pas pu traduire cette union là en structures politiques suffisamment alignées et symboliquement porteuses de sens et de mobilisation pour les citoyens.
Nous voilà donc avec nos 6 principes directeurs pour la sortie de la crise et pour orienter les efforts de nos entreprises (au-delà de la seule restauration des chiffres d’affaires et du résultat) .
Il sera passionnant de reprendre chacun de ces principes et de les incarner, via nos débats, dans des modèles d’actions concrètes au sein de nos entreprises.
Michel CALEF