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Vivre avec son passé ! Une philosophie pour aller de l'avant.

Emmanuelle Adamson Faure

Lecture 4 min.

Crédit photo © Châteauform’

En quelques mots

Nous avons accueilli Charles Pépin à Châteauform' Le Metropolitan pour le 1er Châteauform' Talks 2024 dont le thème était son dernier ouvrage : Vivre avec son passé ! Une philosphie pour aller de l'avant. Voici l'interview réalisée en amont de la conférence.

1/ Bonjour Charles Pépin. Pouvez-vous svp vous présenter à nos lecteurs ?

Bonjour je m’appelle Charles Pépin. Je suis philosophe, romancier, auteur de différents types de livres. A la fois des livres de vulgarisation, des livres plus techniques, des bd et des romans.

Ce que j’essaie de faire, c’est de faire de la philosophie « hors des murs » en allant explorer des terrains nouveaux. Je vais en prison, auprès de Sdf comme de patrons du CAC 40 et en école maternelle. C’est cela ma pâte, je vais philosopher là où ne m’attend pas !

J’avais mon podcast sur Spotify qui s’appelait « Une philosophie pratique » et qui résumait bien l’idée qu’une philosophie soit existentielle que l’on puisse appliquer au quotidien sans pour autant renoncer à l’exigence conceptuelle.

De même, la philosophie Antique se caractérisait par une architecture théorique qui débouchait sur des conseils existentiels. On dit souvent que la philosophie est née autant comme une spéculation théorique que comme une manière de vivre.

 

2/ Vos premiers ouvrages étaient des romans, vous avez écrits des BD avec Jul, cependant c’est surtout comme philosophe que le public vous connaît. Après Les vertus de l’échec (2016), La confiance en soi (2018) et La Rencontre (2021), pourquoi avoir choisi le sujet du passé avec Vivre avec son passé ! (2023) ?

Déjà parce que j’ai eu 50 ans et cela m’a marqué 😊 et je me suis dit que maintenant l’enjeu dans la vie c’était de bien vieillir. Ensuite je trouve que notre époque est marquée par une obsession du présent qui est dangereuse et contre-productive car au fond l’essentiel c’est d’aller de l’avant en étant conscient de notre héritage. Et puis enfin j’ai beaucoup travaillé avec des psychothérapeutes et des neuroscientifiques. On a découvert récemment des choses tellement nouvelles sur le fonctionnement de la mémoire que cela m’a paru intéressant d’en faire en livre expliquant comment faire pour hériter de son passé de façon originale et créatrice. C’est-à-dire qu’est ce que l’on fait avec tous nos héritages, nos manières de pensée, de percevoir, nos goûts ? Tout vient du passé. Notre personnalité, notre façon de voir les choses viennent du passé. Si on veut mieux se comprendre, mieux créer son avenir, il faut comprendre de quel passé on hérite.

 

3/ Je vous cite : « Notre passé ne passe pas. Il est toujours présent ». Aujourd’hui les neurosciences nous permettent de savoir que notre mémoire est dynamique, que nous revivons nos souvenirs et les réinterprétons différemment à chaque fois. Déjà à la fin du XIXème siècle Bergson avait eu cette intuition qu’il décrit dans sa Philosophie de la Mémoire. Pour lui notre mémoire, c’est notre conscience, notre identité. En quoi cela nous aide-t-il à mieux vivre avec notre passé et à préparer notre avenir ?

On se rend-compte que l’identité n’est pas tombée du ciel, mais qu’elle est liée à une histoire tout comme notre manière de percevoir est liée à un apprentissage, à une expérience. Finalement, on s’aperçoit que la seule manière d’aller de l’avant est de ressaisir son histoire dans le mouvement par lequel on va de l’avant.

Plus on sait ce dont on hérite, plus on va réussir à être fondateur de l’avenir. Alors que l’on pourrait penser que c’est le contraire, que pour aller de l’avant, il faut renoncer au passé, rompre avec le passé, faire du passé table rase. C’est ce que j’appelle dans mon livre l’illusion moderniste. C’est l’illusion selon laquelle on pourrait s’inventer totalement librement dans une rupture par rapport au passé.

Ce que je montre, c’est que à chaque fois que j’invente quelque chose de nouveau c’est dans un rapport au passé. Après le sujet, c’est d’avoir la bonne distance. Si on est trop obsédé par le passé, on va être dans le ressassement, la rumination, la nostalgie, l’idée que c’était mieux avant et si on est trop loin du passé, on va être dans l’illusion que l’on peut se débarrasser du passé, que l’on peut tout jeter par la fenêtre et finalement s’en libérer.

Je pense que les 2 sont faux, il faut trouver la distance juste, un peu comme si vous régliez une voile en bateau. Quand vous avez un bon réglage, le bateau avance plus vite. On pourrait penser que la voile prend le vent qui vient du passé et comme on l’oriente bien, on va de l’avant. Il faut donc trouver le bon rapport au passé, la bonne quantité de passé également, la bonne distance par rapport au passé et en quelque sorte ajuster le réglage de la voile pour aller de l’avant.

Autre image. Les joueurs de rugby qui se font des passes vers l’arrière mais vont de l’avant. C’est interdit de se faire une passe vers l’avant sinon c’est un « en-avant ». C’est une image qui dit qu’une certaine manière de se tourner vers l’arrière permet de se tourner vers l’avant.

 

4/ Entre les philosophes stoïciens (accueillir nos souvenirs les plus douloureux afin d’en désamorcer la charge émotionnelle négative), les philosophes épicuriens (se réjouir de ce qui a été et qui n’aurait pu ne pas être), la psychanalyse (qui nous apprend à diverger et à éclairer notre passé d’un nouveau jour) et les nouvelles thérapies dont vous parlez, le « reparentage » dite thérapie des schémas, la reconsolidation de la mémoire (de Sophie Côté & Pierre Cousineau) ou encore la récapitulation créative du passé (de Bergson), le choix est vaste. Quel serait votre conseil : choisir ou plutôt avoir une approche intégrative de ces différentes écoles ?

Une approche intégrative définitivement. Je pense qu’il faut prendre le meilleur le chaque école et surtout arrêter d’opposer les rapports au passé, les écoles de thérapie et les sagesses philosophiques. Il faut presque être dans une logique syncrétique, une logique synthétique ou intégrative et toujours doser 2 grands ingrédients. Un ingrédient d’acceptation (il faut accepter des choses qui ont eu lieu et que l’on ne peut pas changer) et un ingrédient, le plus important, de ré-écriture, de ré-interprétation.

Il faut les 2 ! Il y a dans le passé des événements qui ont eu lieu et que je dois accepter. En revanche, les traces que ces épisodes ont laissé dans mon cerveau, je peux les retravailler parce que dans le cerveau rien n’est figé, il est défini par sa plasticité. A propos de choses que nous avons vécues on pourrait se dire que cela c’est du passé, que cela ne sert à rien d’y réfléchir, de ressasser. C’est vrai que cela ne sert à rien de ressasser. En revanche on peut retraiter les souvenirs car ils ne sont pas dans le cerveau comme des données figées. Ils sont des circuits neuronaux tout à fait mouvants, tout à fait malléables et tout à fait flexibles. Cependant si on parle de grandes douleurs et de traumatismes, il faut savoir que ces derniers créé une fixité dans cette flexibilité cérébrale. Toutes les thérapies présentées ci-dessus ont pour ambition de remettre du mouvement dans ce qui a été figé. On peut revisiter un mauvais souvenir en l’interprétant autrement ou revisiter un mauvais souvenir en travaillant sur l’émotion associée à ce souvenir. On peut revisiter un souvenir traumatique en comprenant que l’on a inféré de cet épisode douloureux une règle de vie qui n’a plus de raison d’être. Ainsi on s’aperçoit que l’on peut agir beaucoup sur son passé, mais il y a quand même des choses à accepter.

L’idée phare du livre, c’est que finalement le passé c’est moins ce qu’il y aurait à accepter que ce que l’on peut changer. En effet on peut voyager dans le passé et on peut intervenir dessus notamment parce que les souvenirs dans le cerveau ne sont pas au même endroit que l’émotion qui y est associée. Les souvenirs sont dans la mémoire épisodique et l’émotion est située au niveau de l’amygdale. Ils n’ont pas exactement le même mode de fonctionnement. On peut dissocier les 2. Pour les souvenirs traumatiques, la règle de vie inférée, les schémas inconscients se situent dans la mémoire sémantique, mémoire qui elle aussi obéit à un fonctionnement différent. Par exemple, j’ai pu être harcelé au lycée mais ce n’est pas ce mauvais souvenir qui m’empêche de vivre. Ce qui m’empêche de vivre c’est ce que j’ai déduit de cette mauvaise expérience, c’est la règle de vie que j’ai inférée. C’est la raison pour laquelle je ne me mets jamais en avant, je ne me défends jamais, je ne m’exprime jamais. On peut retravailler tout cela. On peut se libérer – non du mauvais souvenir – mais de la règle de vie implicite que l’on en a inféré.

 

Le mot de la fin. Dans Matière et Mémoire, Bergson écrit « il n’y a pas de perception qui ne soit imprégnée de souvenirs ». Est-ce que tout ne serait que résurgence du passé qui nous propulse vers l’avenir ?

Alors non, pas tout car il y a du présent, il y a de la rencontre, de la nouveauté, mais elles se font toujours sur le lit de l’expérience passée, sur le lit de perceptions passées. On ne reçoit jamais ce qui arrive comme une page blanche. En effet, il y a de la nouveauté au présent et parfois des choses que nous n’avons encore jamais vécues. On les accueille à partir de son expérience, à partir de son histoire, en étant une personnalité qui puise sa vérité dans son passé.

Le fin mot de l’histoire, c’est que le passé est une partition que l’on peut réinterpréter pour aller de l’avant de façon plus libre.

Crédit photo : Alain Delange

Emmanuelle Adamson Faure

Rédactrice

Emmanuelle, l’un des premiers Talents de l’aventure Châteauform’, est aujourd’hui l’interlocutrice privilégiée des Consultants & de nos Partenaires. Grâce aux multiples missions qu’elle a menées à bien, Emmanuelle a toujours eu et a à cœur de faire vivre & de transmettre l’ADN de notre Entreprise humaniste.

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